qui : Florence Rudolf, coordinatrice scientifique du projet Clim'Ability Design quoi : présent le projet Clim'Ability Design quand : en mai 2020
Dans la continuité de Clim’Ability (2016-2019), le projet Interreg Clim’Ability Design (2019-2022) propose aux entreprises du Rhin supérieur des dispositifs pour innover, esquisser des solutions et des stratégies d’adaptation face à la crise climatique. Le projet est rejoint par celle du Covid… Explications avec Florence Rudolf, sociologue et professeure des universités à l’INSA Strasbourg, coordinatrice du projet.
Propos recueillis par Stéphanie Robert
Clim’Ability Design rassemble des chercheurs en sciences sociales français, allemands et suisses et s’inscrit dans la suite du travail engagé avec Clim’Ability. En quoi consiste ce nouveau projet et quel lien avec le précédent ?
Nous voulions poursuivre le travail engagé avec Clim’Ability, également un projet Interreg. Pendant trois ans, nous avons mené un travail de sensibilisation des entreprises du Rhin Supérieur, notamment les PME, au changement climatique. C’est important car elles n’ont souvent pas les ressources ni le temps pour suivre les données et aller vers la prospective. Avec les autres partenaires du consortium (Météo France, CCI Alsace, les université de Haute-Alsace, de Fribourg, de l’Université de Fribourg, l’Université de Bâle…), nous avons cherché à cerner leurs sensibilités, leurs vulnérabilités, et nous avons mis au point quatre outils de diagnostic en open source : questionnaires, cartographie, quizz… Ce sont aussi des outils de sensibilisation grâce auxquels ils peuvent s’approprier les connaissances en partant de leur cas, leur entreprise, leur site. Il s’agissait de rendre l’information scientifique accessible aux entreprises. C’est efficace, car plus appliqué et concernant. Ces outils permettent d’esquisser des solutions d’adaptation.
Nous nous sommes concentrés progressivement sur les secteurs les plus sensibles et significatifs de la région comme la logistique, la filière forêt bois, l’économie de moyenne montagne…
En trois ans, nous avions à peine défriché le terrain et commencions à récolter des fruits. Nous avons notamment identifié que les PME/PMI étaient particulièrement sensibles aux vagues de chaleur. C’est ressorti d’une manière massive. Elles désorganisent le travail, augmentent la pénibilité, réduisent la concentration, elles ont des effets néfastes sur les humains et sur les machines. C’est pourquoi nous nous concentrons sur les répercussions de cet impact dans Clim’Ability Design, en installant des capteurs sur des sites industriels. Nous souhaitons nous concentrer davantage sur ces espaces d’activité économique plutôt que sur des entreprises individuelles, et identifier les zones d’inertie thermique pour proposer des aménagements en conséquence. Le projet Clim’Ability Design intègre totalement la dimension territoriale du changement climatique et de ses impacts.
C’est-à-dire ? Comment allez-vous mener votre étude ?
Nous démarchons des sites industriels, volontaires pour accueillir notre étude sur le long terme. Nous cherchons à établir des diagnostics et des grilles de lecture de ces sites, au regard des problématiques d’îlots de chaleur, pour penser un autre aménagement, plus qualitatif, ergonomique et adapté. A l’échelle de l’entreprise et de son environnement. Nous les équiperons de capteurs pour objectiver les mesures climatologiques (température, humidité, vitesse des vents, albédo[1]…). A l’issue, nous souhaitons proposer un catalogue des possibles : des propositions simples non coûteuses (adapter son poste de travail par exemple) jusqu’à des aménagements architecturaux, spatiaux et urbanistiques (plantation de haies, végétalisations…). Des discussions sont en cours avec le Marché Gare à Strasbourg, des sites à Bâle et des entreprises qui ont contribué à Clim’Ability.
D’autre part, nous allons organiser des « forums d’innovation » : des groupes de travail d’une vingtaine d’acteurs vont explorer des mises en situation professionnelle pour développer des stratégies innovantes et des pistes de solutions en réponse à des crises. L’un s’appuiera sur la conception inventive, un des axes de recherche de l’INSA Strasbourg (équipe CSip d’ICube), avec le Port autonome de Strasbourg pour réfléchir à la problématique des basses eaux. Dans un autre, l’équipe de la CCIAE Alsace explorera la méthode de créativité Fasit. Ces méthodes, souvent limitées à la conception d’un nouveau produit, voire d’un nouvel équipement, seront déclinées à l’échelle d’un territoire. Elles seront à l’épreuve de situations plus complexes.
Le troisième combine un serious game développé par le Jardin des sciences de l’Université de Strasbourg et une exposition, Critical zone, à Karlsruhe. Le principe est d’imaginer et de discuter des réponses ou des stratégies face à une situation inédite de crise, déclenchée par des stress climatiques ou autres. Lors de ces Business Days, les responsables d’entreprises et d’associations sont invités à s’entendre sur les conséquences de ces évènements, à identifier les principaux enjeux à sauvegarder, à préserver… Cette situation critique rend compte des vulnérabilités potentielles de nos modèles économiques et sociaux. De ce point de vue, la crise du Covid constitue une expérience qui nous a permis de mesurer l’impérative nécessité de se concentrer sur la transition écologique.
Alors justement, avec la pandémie de coronavirus, la réalité rejoint la fiction… Ici, ce n’est plus un serious game, la crise est bien réelle. Comment impacte-t-elle votre projet et les entreprises que vous suivez ?
Effectivement, nous sommes rattrapés par la réalité. Nous avons d’abord dû « atterrir », comme le souligne Bruno Latour, éminent philosophe et anthropologue des sciences, un des commissaires de l’exposition. Nous avons établi une nouvelle feuille de route pour les deux mois de confinement. Nous en avons profité pour mener une enquête auprès de sept entreprises que nous suivions. Il ressort trois enseignements. Le premier est qu’elles sont rompues aux situations de crise, mais à des crises circonscrites. Jamais elles n’avaient imaginé une crise aussi globale, mondiale et qui touche tous les secteurs d’activité. Le plus anxiogène a été pour elles le début de la crise, car rempli d’incertitude, de flottement et d’ignorance. Les prises de décision du gouvernement les ont rassurées : une autorité s’exprime et se positionne. Enfin, celles qui surmontent le mieux cette épreuve sont celles qui cultivent la confiance, la cohésion d’équipe, une bonne ambiance de travail. Des équipes qui se connaissent et s’apprécient sont prêtes à contribuer, à faire des efforts, la crise renforce même ce sentiment de cohésion.
Dans Clim’Ability Design, nous cherchons à offrir des situations pour sortir du quotidien. Cette crise a notamment forcé la rupture. Elle interroge notre capacité de résilience, nous met en situation d’apprentissage… Nous souhaitons que nos outils permettent cela mais sans douleur, ni morts, ni fermetures de boîtes.
Clim’Ability Design est cofinancé par le programme européen Interreg V Rhin supérieur, la Région Grand Est, le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat et la Suisse.
Porté par l’INSA Strasbourg, il implique la Chambre de commerce et d’industrie Alsace, Météo France, les universités de Bâle, de Freiburg, de Haute-Alsace (UHA), de Lucerne, ATMO Grand Est, Hydreos, le Port Autonome de Strasbourg, la Hochschule Offenbourg, la Fachhochschule Nordwestschweiz, les Cantons Bâle Ville et Bâle-Campagne et la Conféderation Suisse (NPR/CTE).
Pour plus d’informations sur le projet Clim’Ability : https://www.clim-ability.eu/
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[1] Pouvoir réfléchissant d’une surface